Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris

Les EnvoûtésL'exposition des lauréats du Prix 1 % marché de l'art

Le musée accueille du 2 au 31 octobre 2021 « Les Envoûtés ». Cette exposition, inaugurée à l'occasion de Nuit Blanche, rassemble des œuvres lauréates de la deuxième édition du Prix 1 % marché de l’art, dispositif de soutien à la création artistique.

Librement inspirée du roman éponyme de Witold Gombrowicz, cette exposition rassemble cinq artistes dont les œuvres avaient été choisies en 2020, lors de la seconde édition du Prix 1 % marché de l'art présidée par Fabrice Hergott, directeur du Musée d'Art Moderne de Paris.

Dans un contexte post-Covid où chacun a fait l’expérience de la perméabilité du monde et de la fragilité des corps, ces cinq « envoûtés » prouvent la résistance de la pensée créatrice. Ils et elles nous invitent à perdre nos repères dans des univers mentaux et visuels autonomes, et à voyager dans l’espace et le temps, entre Orient et Occident, macrocosme et microcosme. Les œuvres présentées sont toutes les fragments d’un monde à la fois proche du nôtre et métaphorique, dont ils et elles réinventent les règles avant de nous y plonger.

Le roman Les Envoûtés, écrit en 1939, édité en 1973 puis dans son intégralité en 1990, décrit les expériences de quelques personnages dans un étrange château de 170 pièces, dont d’immenses trésors artistiques resteraient à inventorier. Devenu un livre culte à l’image de son auteur, cet objet étrange dans le domaine littéraire – entre roman fantastique, gothique et noir – est inclassable et impose un univers singulier. Il en est de même pour chacun des cinq artistes choisis pour la qualité de leur parcours et la pertinence de l’œuvre à produire.

Commissariat et textes : Camille Morineau

 

 

Clarisse Hahn
La série Princes de la rue de Clarisse Hahn mélange des images d’archives – documentant les « rapports d’amour mêlés de haine qu’entretiennent l’Algérie et la France » depuis un siècle – et des portraits réalisés par l’artiste de vendeurs de cigarettes sous le pont aérien de la station de métro Barbès-Rochechouart.
Combattants d’une guerre invisible et quotidienne, ces hommes en situation précaire apparaissent, sous son objectif, comme à la fois courageux et vulnérables. « C’est avec cette élégance particulière au corps oriental qu’ils parviennent à affirmer leur présence dans cet espace, comme une évidence : la rue est à eux, ils en sont les princes malgré le lot d’humiliation qui vient avec chaque journée et ils résistent, le corps dressé comme celui d’un combattant vainqueur. »

Clarisse Hahn, artiste et réalisatrice née en 1973, questionne les codes liés à « l’être ensemble », non seulement en rendant compte des communautés dont elle décortique les rites, mais en bousculant le rapport regardé/regardant. Elle s’emploie à interroger le corps dans sa dimension intime et sociale et perturbe en direct ses représentations, en expérimentant les limites propres à chaque individu, tout en nouant des rapports affectifs avec les protagonistes. Clarisse Hahn est diplômée de l’école des Beaux-Arts de Paris et titulaire d’une maîtrise d’Histoire de l’Art à la Sorbonne. Son travail a notamment été exposé au Centre Pompidou, à la galerie Jousse entreprise et au Palais de Tokyo à Paris, au MAMCO Genève, au Musée national centre d’art Reina Sofía à Madrid et à la Whitechapel Gallery de Londres.

 

Kubra Khademi
Kubra Khademi évoque dans les 15 dessins composant Pouvoir et destruction un matriarcat utopique : celui de la mythologie afghane peuplée de déesses guerrières à la sexualité libérée. Ces récits, transmis oralement et secrètement par sa mère et sa grand-mère analphabètes, contrastaient avec la place faite aux femmes en Afghanistan, une réalité que l’artiste a fuie. Dessiner ces femmes puissantes, les montrer puis les détruire au cours de performances, résume le parcours paradoxal de l’artiste. « En me positionnant dans la situation de détruire volontairement ces dessins alors qu’il s’agit d’un espace d'espoir pour un artiste comme moi, j’entre dans un espace où je prends le pouvoir en détruisant la matérialité de mes œuvres d'art qui devaient exister au-delà de l’acte de la création. En fait, en les détruisant, en les faisant disparaitre, j’augmente leur visibilité. »

Née en 1989 à Kaboul, en Afghanistan, Kubra Khademi est une artiste performeuse et plasticienne. À la suite de l'exécution de sa performance Armor en 2015, dans laquelle elle dénonce une société violemment patriarcale au centre de Kaboul, elle fuit son pays pour la France. Elle a étudié aux Beaux-Arts de Kaboul avant de fréquenter l’Université de Beaconhouse à Lahore (Pakistan). En 2016, l’artiste reçoit le titre de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le ministère de la Culture français. Depuis 2017, Kubra Khademi est membre de l’Atelier des Artistes en Exil à Paris et fut résidente de de la Cité internationale des arts de 2017 à 2019. En 2019, l’artiste est sélectionnée pour la Bourse Révélations Emerige et a obtenu un an de résidence à la Fondation Fiminco.

Jean-Charles de Quillacq
Au-delà du masculin et du féminin, l’univers de Jean-Charles de Quillacq repose sur le même et la « substituabilité » : une personne peut prendre la place d’une autre sans entraîner de changement significatif dans le cours des choses. L’artiste joue en particulier avec son corps et sa ressemblance avec ses frères et sœurs dont il a reproduit les visages, pour en fabriquer des masques qu’il porte tour à tour dans un film, comme autant de variations vécues d’un autoportrait et de demi-altérités. Getting a Younger Sister, Thinking to Myself, le titre du film qui insiste sur la familiarité que l’artiste entretient avec ses objets, développe une autre forme d’indistinction, mais cette fois-ci entre désir et travail, entre travail du désir et travail de la production. Dans cette optique, le travail ne serait alors plus forcément identifiable à ses produits ; il serait plutôt compréhensible par rapport à ce qu’il est par lui-même : une production et une pratique de soi.

Jean-Charles de Quillacq (1979) s’est formé aux Beaux-Arts de Lyon, à la Weißensee Kunsthochschule de Berlin puis à la Rijksakademie (Amsterdam). Il développe des ensembles de sculptures, à la fois conceptuels et fétichistes, qui investissent l’économie du désir et des rapports marchands. Soumis au travail pour garantir sa (re)-production, l’artiste s’engage en personne, se dédouble en altérités objectifiées, se décompose en membres isolés et fabrique sa présence – joyeuse ou douloureuse – sous le regard du public. Il a récemment réalisé deux expositions personnelles, Ma systeme reproductive et Ma sis t’aime reproductive, qui se sont tenues respectivement à Bétonsalon (2019) et à Art3 Valence (2021).

 

Louis-Cyprien Rials
« Prendre un objet à première vue simple et découvrir l’aspect le moins sombre et le moins documenté de celui-ci » : tel est le propos de Drop Tank, de Louis-Cyprien Rials, une histoire des réservoirs largables au Laos. Ces réservoirs auxiliaires de carburant situés sous les avions sont des objets à usage unique, souvent rejetés sur les territoires de populations victimes de bombardements. Réutilisés à des fins récréatives en Occident, notamment pour recréer des voitures de fantaisie aux États-Unis, ils ont été massivement largués dans la région pendant la guerre du Vietnam. Le long de la piste Hô-Chi-Minh, les villageois ont pris le parti de réutiliser ce métal nécessaire, notamment pour assurer une pêche de subsistance, « convertissant en un moyen imprévu de la survie d’un peuple blessé un instrument de l’extension du domaine de la mort ».

Louis-Cyprien Rials, né en 1981, découvre la pratique de la photographie au Japon. À son retour, il vit entre Paris et Berlin, tout en continuant ses voyages dans des pays ou des zones interdites au grand public : Europe de l’Est, Tchernobyl, ex-Yougoslavie, République Turque de Chypre du Nord, Irak, Arménie, Crimée, qu’il perçoit comme des « parcs naturels involontaires ». Son travail se concentre sur le lien entre paysage et conflits, par des photographies, des vidéos, des céramiques ou des sculptures. Il figure parmi les nommés pour la Bourse Révélations Emerige 2016. En 2017, il reçoit le Prix SAM pour l’art contemporain pour son projet à destination de l’Ouganda, projet qu’il expose au Palais de Tokyo en 2019.

Louidgi Beltrame
Symbiotic consciousness est « un film de “science-fiction” qui explore la possibilité d’une conscience étendue aux ‘existants autres qu’humains’ et la question ontologique de l’écart entre le phénomène et la chose ».
Louidgi Beltrame y superpose deux montages de films où archives et prises d’images coexistent, avec une composition sonore de l’artiste et compositeur norvégien Morten Norbye Halvorsen. D’un côté, l'observatoire solaire précolombien de Chankillo au Pérou filmé par l’artiste alterne avec des vues de soleil enregistrées par le télescope spatial de la NASA, de l’autre, des rushes de la Tomba Brion – une tombe de l’architecte Carlo Scarpa – dialoguent avec des images réalisées en microscopie cellulaire montrant l’architecture des cellules vivantes. « Ainsi, les quatre régimes d’images mis en jeu dans le montage sur deux écrans de Symbiotic Consciousness se contaminent, s’interpellent et se recombinent, générant des perspectives et des possibles quant aux questionnements critiques de nos mondes. »

Louidgi Beltrame est né à Marseille en 1971. Son travail se développe autour d’une documentation des modes d’organisation humaine dans l’histoire du vingtième siècle. Il se déplace sur des sites définis par une relation paradigmatique à la modernité : Hiroshima, Rio de Janeiro, Brasilia, Chandigarh, Tchernobyl ou encore la colonie minière de Gunkanjima au large de Nagasaki. Ses films – qui reposent sur l’enregistrement du réel et la constitution d’une archive – font appel à la fiction comme une manière possible d’envisager l’Histoire. Son travail a notamment fait l’objet d’expositions personnelles au MAC Lima, 2021, CAC Passerelle, 2018, Palais de Tokyo, 2015, au Kunstverein de Langenhagen, 2015, à la galerie Jousse Entreprise, à la Fondation d’entreprise Ricard, 2010, au CAC Les églises, Chelles, 2010 et au Jeu de Paume, 2006.

 

Désignation des lauréats de la 3e edition